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Politique salariale et managériale : fédérer au maximum

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Politique salariale et managériale : fédérer au maximum

Le chantier est maintenant lancé. La fin des fouilles d’archéologie préventive a libéré progressivement les emprises du projet, ce qui avait permis aux différentes sections de démarrer entre le printemps et l’automne 2012. Selon qu’ils dépendent de telle ou telle entreprise, les salariés bénéficient de rémunérations, de primes et d’avantages sociaux présentant des différences parfois significatives. Même si ces différences sont acceptées par les intéressés, leur gestion depuis le siège des entreprises est éloignée de ce que requiert l’optimisation des ressources humaines au niveau de l’ensemble du chantier de la ligne à grande vitesse. Très vite, dès le mois septembre, la Direction des Ressources Humaines du projet lance donc ses propres politiques de rémunération et de gestion des compétences.

« Il fallait avancer tout de suite » explique Erik Leleu, « car, particulièrement sur ce sujet, les premiers dangers qui menaçaient l’esprit du projet dont nous avions besoin, c’étaient les entreprises. Celles-ci ont, en effet, tendance à vouloir ramener en permanence leurs salariés à elles, à leur rappeler que c’est bien elles qui les rémunèrent et à qui ils doivent donc -fidélité et reconnaissance. C’est une attitude très humaine que je nomme le réflexe de l’élastique de rappel. Il repose sur l’idée fausse qu’une entreprise serait comme « propriétaire » de ses hommes. Les hommes sont libres. Et ce réflexe peut contrarier la politique de rémunération dont le projet a besoin. La solution est donc de devancer les entreprises en étant plus rapide, plus réactif qu’elles, car cette politique que nous voulons mettre en place va parfois percuter leurs modes habituels de gestion des salaires et des compétences. »

Toutes les composantes d’une politique spécifique concernant les rémunérations et la gestion des compétences des collaborateurs du chantier vont donc être déployées parallèlement aux politiques « ordinaires » propres à chacune des entreprises partenaires. Ceci ne concerne cependant que les entreprises faisant partie du groupe VINCI, la DRH du projet ne disposant dans ces domaines d’aucune autorité légitime sur les Directions des Ressources Humaines des entreprises tierces.

Les entretiens annuels. Qui connaît mieux, du point de vue managérial, une personne détachée sur un projet que son responsable « N+1 », quand bien même il n’est pas de la même société ? Qui est le plus à même de conduire l’entretien annuel d’un chef chantier ? Est-ce un cadre de son entreprise basé au siège de celle-ci à quelques centaines de kilomètres ou le conducteur de travaux qui le voit travailler tous les jours ? Et, ainsi que cela se fera à tous les échelons hiérarchiques, ce conducteur de travaux aura lui-même un entretien annuel avec son responsable direct au niveau du projet. Tous les ans 100 % des entretiens individuels sont -réalisés. « Un patron dirige ses collaborateurs, mais surtout les aide à être performants. » Jean Hervet.

Les primes. Le projet n’a pas ou très peu utilisé les augmentations générales qui sont restées très faibles voire inexistantes. Mais rien n’interdisait bien sûr aux entreprises de pratiquer de telles mesures générales à leurs niveaux ; mesures qui auraient naturellement concerné aussi leurs salariés détachés sur le projet. En revanche, le projet a proposé, et même dans certains cas imposé aux entreprises, lorsqu’elles n’en mesuraient pas la pertinence, le versement de primes soit individuelles pour récompenser un engagement personnel particulièrement efficace, soit au niveau d’une équipe en reconnaissance par exemple d’un objectif atteint collectivement. Attention cependant : ces primes doivent être utilisées avec précaution car elles peuvent légitimement gêner les entreprises. Il est nécessaire de préciser sur la feuille de paie au moment où elles sont versées que ces primes sont attachées au projet. Elles ne sont en aucun cas des éléments de salaire pérennes que le collaborateur pourrait considérer comme étant dues par son employeur, lorsque celui-ci l’enverra sur d’autres chantiers. De plus, et bien que la prime ne coûte finalement rien à l’employeur d’origine puisqu’elle est facturée au projet et donc en quelque sorte « remboursée » par celui-ci, son montant peut être jugé excessif au regard de la politique salariale habituelle de l’entreprise. Elle est donc séparée en deux parties clairement identifiées sur la feuille de paie : une prime « Socle » susceptible d’être pérennisée, et une prime « Projet » exceptionnelle.

Les « people review ». Réalisés annuellement, les « people review », ou revues du personnel, consistent à mettre en relation les postes et les personnes afin de parvenir à la meilleure adéquation entre les uns et les autres. Elles sont « trans-entreprises » : la façon dont un collaborateur salarié d’une entreprise remplit sa mission peut être examinée par son supérieur « N+1 » alors même que celui-ci est salarié d’une autre entreprise. Les « revues » permettent ainsi au chantier d’atteindre un optimum d’efficacité collective, en plaçant chaque fois la bonne personne au bon endroit. De manière générale, il y a cette conscience productive d’une vie « avant », « pendant » et « après » le projet.

Mais là aussi, attention aux conséquences et aux interactions avec « la vie d’après » et avec les impératifs de gestion des ressources humaines de chaque entreprise : le chantier du projet réclame un très fort engagement de tous ses collaborateurs mais sa durée est limitée. Son intensité favorise la progression rapide des meilleurs et les prises de responsabilité. Non seulement le projet avance très vite, mais ses dimensions hors-normes multiplient les opportunités de s’élever dans la hiérarchie : bien peu de chantiers comptent autant de « responsables » et de « directeurs » que celui de la ligne à grande vitesse Tours-Bordeaux !

Mais, lorsque leur mission sera achevée, toutes ces personnes auront pourtant à retrouver la « vraie vie » au sein de leurs entreprises qui, elles, ont à gérer le temps long d’une carrière entière : quand quelques mois permettaient ici une promotion au niveau hiérarchique supérieur, il faudra là attendre quelques années... Attention donc au risque de déception du « retour sur terre » : celui-ci doit être énoncé et anticipé car encore une fois, c’est d’abord aux hommes qu’il faut penser !

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